Sel et quinoa

 

Nous quittons San Juan et nous dirigeons en direction de l’illustre désert de sel, qui devait faire partie des endroits dont je me réjouissais le plus avant même notre départ. Après une petite journée de pédalage, nous nous retrouvons à la bordure du Salar et, malgré notre impatience, nous décidons de garder l’entrée et la première partie de la traversée pour le lendemain. Alors que nous montons la tente entre quatre murs de briques qui deviendront peut-être une maison prochainement, nous avons la visite des quatre enfants du hameau. Ils sont bien curieux et observent nos rituels pré-nocturnes en nous posant toutes les questions qui leur viennent à l’esprit. Notre souper, pâtes – sauce tomate, ne semble pas leur faire envie vus les grimaces et les « beurk » qu’ils prononcent timidement. Ils visitent notre tente puis c’est à leur tour d’aller souper le repas que la grand-maman leur a préparé. On les voit ensuite monter la colline à laquelle est adossée leur maison, chacun avec quelques feuilles de papier de toilette à la main ; on en déduit que les toilettes se trouvent là-haut dans la nature, et que c’est le moment pour les enfants de satisfaire leurs besoins avant d’aller au lit. 

 

Au réveil, l’euphorie nous occupe ; la traversée du Salar, c’est aujourd’hui ! Nous commençons par pédaler sur une digue qui nous fait pénétrer dans le désert de sel. Surélevée, elle nous permet d’éviter l’eau qui l’inonde depuis la saison des pluies qui a été particulièrement intense cette année. Elle s’arrête après quatre kilomètres, et c’est là que commence véritablement l’aventure ! Il nous faut nous lancer dans ce miroir, créé prodigieusement par cette couche d’eau d’une trentaine de centimètres et donnant un côté irréaliste à la scène. Nos vélos s’enfoncent par endroit, nous obligeant à mettre pied à terre (on avait prévu le coup en troquant les baskets pour les tongs !) Plus on s’enfonce dans cette étendue à perte de vue, plus la couche d’eau se fait fine. Finalement, après quelques kilomètres seulement, l’humidité devient moindre et nous roulons sur du solide. Le seul repère que nous distinguons au loin est le volcan Tunupa. Il nous guidera durant la traversée car en le visant, nous atteindrons l’île Incahuasi qui n’est visible qu’à une vingtaine de kilomètres. La densité de touristes sur l’île est contraire à celle qui règne dans le Salar ; l’île semble bien être le passage obligé pour tous les 4x4. Heureusement, la foule s’en va en fin de journée afin de pouvoir atteindre leur pension avant la nuit tombée. On monte la tente sur le sel, à proximité de l’île. Mais alors qu’on est en train de préparer notre souper, un garde vient nous avertir que c’est trop dangereux de dormir ici à cause du passage des voitures. On se rapproche alors de l’île, plus pour lui faire plaisir que pour nous protéger de la circulation inexistante pendant la nuit !

 


Le lendemain, nous avons encore une trentaine de kilomètres pour sortir du Salar, toujours en direction du volcan. L’exaltation s’estompe peu à peu, mais nous profitons des pauses pour faire toutes sortes de photos dans ce cadre qui s’y prête particulièrement bien. Plus on s’approche de la sortie, plus l’humidité reprend ; les alvéoles créées naturellement à la surface sont dessinées en relief et font sauter nos vélos, comme si nous pédalions sur du mauvais ripio. On est heureux d’arriver au bout et de retrouver la terre ferme. A présent, ce sont les champs de quinoa qui nous entourent. La pureté du désert en arrière fond intensifie la couleur rouge-orangées des plantes de quinoa, c’est un plaisir pour nos yeux.




Nous arrivons dans le petit village de Jirira, où habite Raymondo, un guide bolivien que nous avions rencontré au Chili. Sa femme y tient une hospedaje alors nous décidons d’y dormir une nuit. Le soir, alors que nous nous réchauffons dans la pièce commune avec toute la famille, la grand-maman nous fait la blague que le lendemain, c’est réveil à 7h pour tout le monde pour aller travailler aux champs ! On rigole et les saluons en leur souhaitant une bonne nuit. En allant se coucher, on se dit que l’idée d’aller récolter le quinoa nous plait bien et nous permettrait d’en apprendre davantage sur la culture de cette céréale. On va vite les avertir qu’ils peuvent nous compter dans l’équipe du lendemain!

Le travail aux champs n’est pas de tout repos. Tout se fait manuellement, et la tâche est minutieuse ; il s’agit de vérifier les plantes une à une, et de déterrer celles qui sont suffisamment sèches. Après avoir pris soin de retirer la terre, on crée des tas. Pour finir, tous les tas sont rassemblés au même endroit d’une certaine façon pour que les têtes de quinoa puissent finir de sécher correctement. La délicatesse doit être de mise car la plante est fragile et les grains tombent facilement. Alors que nous sommes vite fatigués à force de se baisser, s’enfoncer dans le sable, porter des tas relativement lourds, la grand-maman et cheffe des opérations pète le feu ! L’altitude (3’600m environ) ne semble pas agir sur son organisme, ni le labeur pénible sous ce soleil qui tape. Elle nous explique qu’elle fait ça depuis qu’elle est jeune et qu’elle n’a pas vraiment le choix si elle veut gagner sa vie. On est peiné d’apprendre que la valeur du quinoa a triplement chuté depuis 10 ans, et que tous ces efforts fournis ne lui rapportent que peu. En plus, on a vu qu’une petite partie du travail, car de nombreuses étapes suivent la récolte avant que le quinoa ne soit prêt à être vendu.



Ils nous invitent chaleureusement pour tous les repas qui suivent afin de nous remercier pour notre aide. On passe de bons moments avec eux, et la mamita ne veut plus qu’on parte ; elle veut absolument qu’on revienne, mais à trois ! En plus elle nous a appris comment porter les bébés à l’aide d’un tissu andin, alors elle veut nous voir à l’œuvre !

Raymondo doit aller jusqu’à Oruro pour faire quelques achats, alors nous profitons du lift pour avancer rapidement sur cette partie. On se serre, et on arrive entrer à neuf dans sa voiture à cinq sièges avec les vélos sur le toit. La ville d’Oruro n’a rien de très charmant alors on ne s’y attarde pas et on prend un bus pour rejoindre La Paz.

On atteint le petit village de Laja, à 20km de La Paz, après les conseils des Schnellys (des cyclotouristes romands rencontrés en Patagonie qui viennent de boucler leur traversée des Amériques !! ) où un prêtre accueille volontiers les cyclos qui souhaitent se décharger de leurs vélos pour aller visiter La Paz plus calmement. C’est vraiment pratique car la ville n’est pas très bike-friendly.

 

La ville de La Paz est vraiment unique. Capitale la plus haute du monde, elle culmine à plus de 3’600m avec 1’000m de dénivelé entre le bas et le haut de la ville. En arrivant depuis El Alto, la banlieue qui surplombe la Paz, on a une vue saisissante sur ce décor urbain. Une de nos premières réactions a été « mais pourquoi une ville a été construite dans un tel environnement ?! Ils ne se sont vraiment pas facilité la tâche ! » En effet, c’est dans une immense cuvette de l’altiplano qu’elle a été bâtie, qui plus est une cuvette irrégulière avec des pentes escarpées, voire des falaises par endroits. C’est une des rares villes où les quartiers pauvres se situent en hauteur alors que les populations aisées se trouvent en contrebas. Afin de relier ces différents quartiers, un magnifique réseau de télécabines a été créé. C’était un sentiment particulier d’entrer dans ces cabines dans cette ambiance urbaine ! Mais on a adoré ; c’est l’occasion d’avoir une super vue sur la ville, mais aussi de saisir quelques instants volés de la vie des Pacéniens en guignant par les fenêtres.

Arrivés un dimanche, on s’est étonné de la « tranquillité » de la ville. Peu de circulation, peu de bruit, peu de monde. Mais on a compris le lendemain que ce calme n’avait pas sa place en semaine. Il y règne l’agitation d’une grande ville ; les hommes d’affaires qui marchent rapidement, des manifestations qui bloquent les routes, des touristes avec l’appareil photo autour du cou, les écoliers en uniforme sur le chemin de l’école, des vendeurs ambulants, des femmes en costume traditionnel andin… tout ce petit monde se croise et se mélange. On a beaucoup aimé se balader dans les rues, sans forcément avoir de but précis mais simplement pour s’imprégner de cette ambiance particulière en sortant des quartiers touristiques.


 


Le temps que l’on a économisé grâce aux kilomètres effectués en bus et voiture jusqu’à La Paz nous ont permis de faire un petit séjour « remember » à Tarija. On y a vécu un condensé de tout ce qui nous avait plu dans cette ville et on a beaucoup apprécié de revoir des têtes connues (Merci encore les Fidanzas!)

 

De retour à Laja et heureux de retrouver nos vélos après une dizaine de jour, on démarre direction Cusco ! On choisit de longer le lac Titicaca par la rive nord-est, en suivant les conseils reçus par différents cyclos. La route est moins fréquentée et le décor plus sauvage. Les paysages traversés nous font penser aux îles croates. La végétation reprend, ça nous fait plaisir de revoir du vert !




L’arrivée au Pérou est plutôt mitigée… nous passons la douane le jour de la fiesta de las Cruces , qui rime avec des fêtes villageoises bien arrosées. Ils boivent leur bière cul-sec dès le matin, nul besoin de vous détailler leur état au fil de la journée. La traversée des villages n’est donc pas toujours agréable pour nous les gringos ! Les chiens ne nous épargnent pas non plus. Ils sont agressifs et n’hésitent pas à nous aboyer dessus en courant en notre direction. Un particulièrement coriace a même fait sursauter Jonas qui, par surprise, a donné un coup de genou dans sa manette à vitesse et l’a cassée. Rien de bien grave car on a pu la réparer mais on n’aime pas les chiens !! Et puis les chauffeurs péruviens se sont montrés à la hauteur de leur réputation ; les coups de klaxons n’arrêtent pas. Des petits désagréments auxquels on va apprendre à s’habituer pour profiter de ce pays :) Une petite halte sur l’île d’Amantani avec nuit chez l’habitant nous a fait du bien, loin des chiens et des klaxons.

 


Nous partons maintenant en direction de Cuzco où nous avons rendez-vous avec ma maman pour deux semaines de treks et visites dans ce berceau de l’empire Inca (...selon le point de vue péruvien). Qu'est-ce qu'on se réjouit !!

 

Bien à vous,

 

A + J.