En route vers le grand San Fransisco

 

Dix jours de rêves, de liberté, d’émotions, de difficultés et de récompenses. Notre première grande traversée des Andes nous a transporté dans un univers rêvé depuis plusieurs années.

 

Déjà sur le chemin quotidien de Grésaley, notre Ian-Ian national me contait avec sa verve légendaire des récits sur les Andes et son mentor de grimpe ou de marche (dont j’ai oublié le nom) ou encore ce livre relatant le crash d’un avion dans ces montagnes qui a mené à du cannibalisme forcé pour la survie des rescapés… Puis plus tard, la vision de paysages d’autres cyclotouristes dans ses contrées m’a bien rapidement passionné. Voilà pour la genèse de ce rêve andin et l’envie d’aller pédaler à travers ces montagnes typiques. Et ces premiers jours ont été au-delà de mes espérances.

Voici ces dix jours de rêves racontées de manière chronologique et imagée.

 

Jour 0

 

Jour de courses ou de commissions afin de s’approvisionner pour les dix jours suivants. C’est notre première grande expérience d’autonomie au niveau de la nourriture et de l’eau. Notre caddie bien rempli, nous nous demandons comment nous allons faire pour empaqueter tout ça et surtout pour le transporter. L’eau est rare dans cette région et c’est donc 15 litres que nous devrons transporter afin d’être sûrs d’en avoir en conséquence. On comptera sur la générosité des personnes rencontrées pour compléter notre stock si les rivières sont asséchées.

 


Jour 1 


Nous émergeons de notre confortable lit d’hôtel qu’on s’est offert pour récupérer de la nuit précédente passée dans le bus reliant Viña-del-Mar à Copiapo. C’est de cette ville minière, principalement connue pour ses bars dansants bien fréquentés par les miniers, que nous partons avec des sentiments mitigés. L’impatience de découvrir cette première grosse aventure se ressent avec des sensations similaires à celle perçues avant le départ pour un camp de ski (enfin, pas pour tous J). Mais aussi une certaine inquiétude concernant l’état nauséeux d’Anaëlle qui n’est pas au top de sa forme. Mais courageuse et avec l’envie de partir qui domine, elle décide qu’on lève le camp tout de même aujourd’hui. Après quelques vingt kilomètres, nous retrouvons un environnement aride où seuls des industries lorgnent le bord de route. Notre rythme est similaire au péristaltisme de l’estomac d’Anaëlle et nous avançons gentiment mais sûrement dans ce décor dépaysant. Ce sera le commencement de notre émerveillement. La pente est faible et constante, les pauses régulières et fréquentes, l’état d’Anaëlle s’améliore et nous finirons notre journée par un bivouac dans des ruines abandonnées. Une nuit bien paisible sous un ciel étoilé qui permettra une récupération totale.

 


Jour 2


Nous profitons de la tranquillité du lieu pour apprécier notre fameux déjeuner qui nous accompagnera durant cette traversée : avoine, lait en poudre, pomme ou poire et dulce de leche. Nous prenons la route en étant toujours en admiration devant le décor montagneux aux nuances de gris sableux. La route est seulement fréquentée par quelques camions travaillant pour les routes ou les mines ou encore d’autres pickups transportant les travailleurs de ce coin isolé. Nous en croiserons très peu mais leurs sourires et signes d’encouragement de la main ou sonores ne feront qu’augmenter notre motivation à pédaler. Quelques voitures touristiques font également partie des rares véhicules à arpenter cette route. La gentillesse de leurs occupants est égale à celle des aux autres chauffeurs et l’un d’entre eux offre à Anaëlle des raisins et de l’eau fraiche. Un simple geste aux conséquences heureuses dans cette fournaise où notre stock de fruit est rationné.

Première grosse côte qui nous fera descendre de nos vélos et longer un des rares cours d’eau croisés. Heureusement qu’il était là car le village sur lequel on comptait pour se réapprovisionner en eau est abandonné… Nous pourrons y prendre de l’eau en la filtrant et compléter notre stock de 15 litres nécessaire pour deux jours. Nous terminerons cette journée par un repas classique de spaghettis - sauce tomate avec vue sur une plaine étrangement verdoyante habitée par quelques ânes et chevaux.

 


Jour 3


L’objectif du jour est une mine (d’or ?). Les récits lus sur plusieurs blogs décrivaient des miniers très hospitaliers avec les cyclistes. On s’imaginait donc déjà dormir au chaud sous un toit avec douche et repas au « casino » (leur cantine). Le décor de la journée est similaire au précédent mais toujours fascinant jusqu’à notre arrivée à cette fameuse mine plantée au milieu de nulle part. Nos plans de nuit au chaud sont vites refroidis par le gardien du gate qui nous refuse l’entrée à la propriété. Mais il nous régale tout de même d’un six pack d’eau fraiche et d’une « merienda » (les 4h d’ici) bien appréciée.

Nous passons finalement la nuit en bivouaquant derrière un gros caillou pour s’abriter du vent. On apprécie d’autant plus le ciel étoilé qui est toujours exceptionnel dans cette région lors des sorties pipi de nuit.

 


Jour 4

 

Jour record avec notre premier passage en dessus des 4’000m au bout de cette « cuesta » bien casse-pattes qui nous mène à 4’300m. Des émotions fortes et une certaine fierté déjà d’y être arrivés. Et c’est à partir d’ici que notre vue ne quittera plus les sommets culminant à 6’000m. Un cadre rêvé qui nous laisse bouche-bée…

Notre descente pour rejoindre la douane est lente à cause de l’état de la route et de nos nombreuses pauses photos. Nous atterrissons sur une plaine habitée par le Salar de Maricunga et son célèbre petit renard qui nous fait craquer jusqu’à lui filer quelques biscuits.

Nous devions passer la nuit à la douane où un dortoir est prévu pour des voyageurs mais c’est finalement, grâce à la sympathie de Florent et Philomène qui nous donnent un lift en pickup, que nous passons une soirée en bonne compagnie et une nuit au bord de la Laguna Santa Rosa dans le cadre hallucinant du parc national des « Tres Cruces ».

 



Jour 5


Nous retournons en matinée à la douane pour passer les formalités et retrouver nos affaires laissées la veille. S’en suit une belle route asphaltée et un vent de dos qui nous mène jusqu’à une petite maison rouge posée là au pied des Tres Cruces, qui dépassent les 6’000m. Cette nuit à 4’500m sera fraîche et nous sommes tout heureux d’avoir un abri de fortune pour l’occasion.

 


Jour 6


Le réveil est gelé tout comme notre eau, et c’est rapidement qu’on s’habille chaudement en attendant le pouvoir chauffant du soleil. Il tarde à venir et nous oblige à faire une pause « décongélation » des pieds d’Anaëlle. La journée est rude avec d’interminables lignes droites en faux plats montants et une brise bien fraiche qui nous assèche. Notre souffrance est vite atténuée par un panorama de 360° sur les cimes des mastodontes volcans andins avant une redescente sur la Laguna Verde et son bleu turquoise saisissant, comme dirait Anaëlle.

Malgré la présence au refuge de la lagune d’une grande expédition « d’andinistes » sud-américains pas tous très respectueux, nous profitons pleinement des thermes naturels revigorants après six jours passés à se rincer à peine.

 


Jour 7


Jour J, le tant attendu Paso San Fransisco à 4’726m s’offre à nous après une petite mais coriace étape de 20km. Une joie intense nous envahit après ses efforts consentis sur plusieurs jours. Le petit câlin au col, la photo avec le panneau, la vidéo, les félicitations, la tape sur l’épaule et tutti quanti se font d’une manière clichée mais les émotions sont réelles et difficilement descriptibles… On profite du refuge mis librement à disposition par le gouvernement argentin pour passer une nuit qu’on espère réparatrice avant d’affronter notre petite idée qu’on avait derrière la tête.

 


Jour 8


Le réveil sonne à 4h30 du matin, nous sortant d’un profond sommeil trouvé tardivement. Mes idées se mettent vite en place : c’est aujourd’hui qu’on va tenter l’ascension du volcan à plus de 6'000 mètres, notre petit rêve depuis quelques semaines ! Jonas est déjà sorti du lit, il s’affaire à ranger nos affaires (que l’on avait soigneusement préparées la veille), et à boucler les sacs à dos. Une fois le tout rangé, les couches revêtues et les vélos cachés pour la journée, nous nous enfonçons dans la nuit légèrement éclairée par un croissant de lune et par nos frontales. Le sommet du San Francisco se devine grâce à la pureté de la neige qui le couvre. Notre pas est lent, à l’inverse de notre souffle qui est bien trop rapide pour notre vitesse de marche ; il va falloir accepter que l’altitude inflige ce manque d’oxygène à notre corps, et que ce dernier compensera par un essoufflement inhabituel. Aucun bruit, aucune vie à l’horizon, nous sommes seuls au monde ! Après deux heures de marche et quelques 500m de dénivelé parcourus, les premières lueurs du jour apparaissent… Les sommets, éclairés en premier, s’illuminent devant un horizon jaune-orangé. Ils ne paraissent plus si hauts. Nous arrivons à la première étape de l’ascension, un plateau à 5'200m. C’est là que nous apercevons deux autres marcheurs sur nos pas, rencontrés à la Laguna Rosa. Il s’agit d’un guide chilien et de son client russe. Leur rythme étant un peu plus lent que le nôtre, nous décidons d’avancer sans les attendre. A partir de 5’300m, la montée se fait en empruntant une traverse escarpée et raide. Le souffle devient court et j’ai froid. Mes pieds sont glacés et le soleil tarde à nous réchauffer car nous nous trouvons sur la face nord-ouest.

Jonas est en tête, il n’a pas l’air de souffrir de l’altitude. Pour moi, c’est une autre histoire ! Pour ne pas m’arrêter trop souvent, je me force à compter 100 pas avant de faire une pause. Parfois j’échoue, et m’arrête après une vingtaine de pas seulement, tant le terrain est raide. 5'400m, 5’500m… le soleil nous offre enfin sa chaleur et nous réchauffe instantanément. Quel bonheur ! Alors que nous nous arrêtons pour déjeuner et prendre des forces, le duo nous rattrape. Nous voyant gelés, le guide nous propose gentiment une paire de gants et un pull supplémentaire. Il nous dit qu’il nous reste environ 2h30 de marche jusqu’au sommet. Nous repartons gonflés à bloc alors qu’eux entament une énième pause.

Nous grimpons… 5'600m, 5'700m… La vue est grandiose, elle donne presque le vertige. Le refuge n’est plus qu’un petit point bleu à l’horizon, on s’étonne d’avoir parcouru une telle distance à pied depuis que l’on est parti à l’aube. 5'800m… Le sommet devient perceptible et ne paraît plus si loin ! Sa vision nous pousse davantage, c’est comme s’il nous attirait vers lui. Mais cette attirance est vite rompue par une autre vision… celle de la neige. Les guides croisés les jours précédents nous avaient bien avertis que l’ascension serait compliquée avec nos chaussures. On voulait quand même y aller en espérant que la neige aurait fondu ou qu’un petit sentier déneigé aurait été créé par d’autres marcheurs. Que nenni, un duvet blanc recouvre le chapeau du volcan, et il n’y a pas d’alternative. Cependant, le chemin n’est pas très raide et des traces de pas sont présentes dans la neige. Après une brève concertation, on est tous les deux d’accord que c’est trop frustrant de s’arrêter là. On essaie d’avancer encore. 5'850m… les chaussures crochent, l’espoir d’arriver au sommet revient ! L’altitude est de plus en plus pesante ; l’essoufflement sérieux, la concentration intense, la tête qui commence à taper. 5'900m… on est proche du but ! Notre corps s’est réchauffé grâce aux rayons du soleil qui tapent fort. Nous sommes dans de bonnes conditions pour atteindre la croix.

5’950m… Le profil du chemin, que l’on devine sous la neige, se modifie. Ça devient raide. Très raide. Trop raide. Nos chaussures ne nous soutiennent plus, chaque pas est glissant et notre équilibre est incertain. On se rend à l’évidence : poursuivre jusqu’au sommet nous mettrait dans des conditions d’insécurité. S’il arrive quelque chose là-haut, aucun moyen d’avertir quelqu’un, et l’aide serait difficile voire néante. On regarde une dernière fois le sommet, on est proche. Nous ne sommes pas suffisamment équipés, le demi-tour s’impose.

On croise le guide et son client, qui eux aussi décident de ne pas aller jusqu’au sommet ; le timing est serré et le russe souffre de maux de tête.

La descente nous prend trois heures. Elle nous permet de digérer ce sentiment de déception qui nous habite, indéniablement. Le mal de tête s’intensifie au fur et à mesure de la descente. Ça tape fort, autant chez Jonas que chez moi, à tel point qu’on décide d’avaler un Dafalgan. Arrivés au refuge aux alentours de 16h, nous retrouvons Philomène et Florent qui nous accueillent avec de l’eau chaude et du chocolat. Ils s’apprêtent à faire l’ascension du San Francisco le lendemain, avec un vrai équipement d’alpiniste eux ;) On récupère rapidement et la tête se calme. On se dit qu’on a pris la bonne décision et les paroles de Gandhi nous réconfortent…  "C'est dans l'effort que l'on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire."

 


Jour 9


C’est après quatre jours passés dans le « No man’s land » que nous passons le poste frontière argentin. Après le réservoir de pétrole utile au fonctionnement électrique de leur programme rempli, les formalités se passent très rapidement.

Notre route jusqu’à la prochaine ville Fiambalá s’apparente, en théorie, à une descente de 3’200m de dénivellation sur 200km de route asphaltée. On va vite « déjanter » avec un vent qui s’avère contraire en après-midi et qui nous fait ralentir drastiquement. On espérait battre notre record kilométrique quotidien mais il n’en est rien. On s’arrête à un refugio après 90km. On retrouve une plaine avec rivière et donc plus de végétation et d’animaux. C'est un plaisir d'observer les nombreux troupeaux de Vicuñas galopant de peur à notre arrivée et parfois traversant la route quelques mètres devant nous.

La visite d’un âne en soirée sur notre campement jouera des tours à mon imagination. En m’endormant, le bruit d’un coup de vent me fait penser à la chute de l’âne sur notre tente que je sursaute sur Anaëlle qui se fout bien de moi. On finit par s’endormir en rigolant et la nuit sera calme et agréable.

 


Jour 10



Craignant le scénario de la veille, nous nous levons aux aurores pour éviter un maximum le vent. Nous faisons bien et profitons pleinement du reste de notre descente avec des paysages changeant au fur à mesure que la température s’élève. La végétation se fait plus présente, bien que l’environnement reste aride. La traversée de la « Quebrada de la Angostura » nous abasourdit. Une route sillonnant entre des falaises rouges ocres avec une pente douce qui nous permet de quitter les yeux de la route et les mains des freins pour profiter pleinement de ce panorama nouveau pour nos pupilles.

Nous arrivons à Fiambalá fatigués mais heureux d’avoir réalisé cette première grande traversée des Andes. Ce n’est pas la dernière et on se réjouit déjà de la suivante après un peu de repos.


 

J + A.


PS: Si vous voulez nous entendre, nous passerons dans l'émission "A l'abordage" ce vendredi 16 mars sur la 1ère à partir de 15h. A bientôt !