Cuba libre ?

 


Cuba, cette île bien isolée était depuis longtemps dans le coin de notre tête pour terminer ce voyage en Amérique Latine. Un pays mystérieux pour Anaëlle et intriguant pour Jonas. Des avis mitigés d’autres voyageurs ou des heureuses découvertes pour d’autres nous ont convaincus d’aller y faire un tour par nous même pour se faire une idée plus claire de cette « capitale » mondiale révolutionnaire. Une opportunité certainement unique de pouvoir la découvrir à vélo. Un moyen de transport qu’on pensait meilleur pour se rapprocher de la population et pouvoir ainsi mieux percevoir et comprendre la complexité du pays.

Pour être honnêtes, trois semaines à sillonner quelques routes entre villes et campagnes n’auront pas été suffisantes pour détacher une idée claire du fonctionnement cubain. Beaucoup de questions restent sans réponse précise ou objective, mais ça reste certainement les trois semaines les plus passionnantes et intéressantes de ce voyage outre-Atlantique.

 

Nous plongeons dans une petite rétrospective à chaud de nos ressentis lors de cette parenthèse caribéenne…

 

Dès les premières minutes après notre atterrissage à l’aéroport de La Havane, des comportements nous interpellent tels que le « bal des climatisations » à l’aéroport. En attendant la réception de nos vélos au rayon « bagages encombrants », nous observons de nombreux cubains venant réceptionner leurs climatisations nouvelles générations ou encore l’écran plasma dernier cri qu’ils viennent d’acheter au Mexique. Nous apprenons que l’importation de tels biens de consommation est très réglementée par l’état en les surtaxant. Il est dès lors préférable d’en acheter une à l’étranger et de la faire venir avec des passagers ayant fait le voyage au Mexique par exemple. Les taxes sont aussi énormes mais le coup final revient plus bas qu’en s’en procurant une via un magasin spécialisé à Cuba.

 

Dès la sortie du terminal, nous découvrons un véritable musée vivant ; de vieilles voitures américaines, vestiges de l’époque sulfureuse des riches américains venant passer du bon temps sur l’île avant la révolution, ou alors des Lada toutes en couleurs du temps de la coopération rapprochée entre l’URSS et Cuba. Des pièces de collection pour nous, de véritables outils de travail ou de déplacement ici, dont la sortie du pays est interdite. Elles font partie du patrimoine culturel du pays. Une bien bonne idée même si elle est profitable que pour la classe aisée qui peut posséder ce bien. Le parc automobile est complété par de magnifiques side-cars, des calèches, des bus collectors ou chinois plus récents, des vélos aussi vieux que les bagnoles, des solex légendaires et… des scooters électriques qui semblent révéler certains accords de marché avec la Chine.

Des maisons coloniales en perdition ou très bien rénovées complètent le tableau nous téléportant dans une autre ère.

 



Avant de remonter sur nos bicyclettes, nous passons deux jours à nous pavaner dans la capitale cubaine. Une ville rêvée pour nous qui aimons juste nous balader et observer la vie des locaux. Une vie contrastée entre celle retrouvée dans les quartiers touristiques, luxuriants, parfois utilisée par le gouvernement pour l’image divulguée à l’extérieur ou lors de visites officielles. Et la vie d’autres quartiers, dévoilant une certaine misère des cubains oppressés par le système gouvernemental.

Cette dualité se retrouve à plusieurs niveaux et notamment avec les deux monnaies qui coexistent dans le pays. La monnaie nationale (CUP), utilisée principalement par les Cubains pour se nourrir dans des « cafeterias » et se procurer les aliments de base. Et le pesos convertible (CUC) (1CUC = 1 USD = 25CUP) utilisé majoritairement par les touristes et cubains aisés. Nous n’avons pas réussi à comprendre toute la complexité de ce système financier à deux monnaies. Cependant ou toutefois pour certains, nous avons appris que les produits qui nous paraissent élémentaires tels que le savon, la lessive, le dentifrice, l’huile, etc… se paient en CUC et que beaucoup de cubain ne peuvent pas s’en procurer !

 


Durant nos jours à La Havane, nous avons la grande chance de rencontrer Françoise et Tano, couple suisso-cubain et amis de la famille. Ils vivent à Cuba depuis toujours pour Tano et depuis huit ans pour Françoise. On adore toujours les discussions avec des personnes du coin pour essayer d’apporter des réponses à nos questionnements et surtout pour avoir des avis informés sur les régions à découvrir. Françoise ayant vécu la plus grande partie de sa vie en Suisse, elle a les mêmes repères européens que nous et son point de vue sur la situation du pays est captivant. Nous pouvons parler librement et avons des réponses sincères. Il est parfois délicat de poser des questions sur des sujets sensibles à des personnes rencontrées en cours de route, mais avec eux, il n’y a pas de tabou. Nous avons passé ensemble une soirée à la Havana Vieja à nous balader dans les petites rues, en s’arrêtant çà et là pour écouter les groupes jouant de la musique cubaine. Tano étant lui-même un musicien aguerri, il connaissait systématiquement un musicien du groupe et profitait des pauses entre les chansons pour aller saluer ses amis. Nous avons même eu droit à un concert voix-guitare privé avant notre départ, un privilège mémorable.

 

À propos des rencontres, dès notre deuxième jour sur l’île, nous rencontrons un cycliste, prénommé Enrique avec qui on roule quelques kilomètres jusqu’à son village. Il nous annonce qu’il a une chambre libre dans sa casa particular (maison d’hôtes), alors on y passe une nuit. On partage le repas du soir avec lui, et discutons de nombreux sujets sans filtre (parfois en anglais pour pas que ses voisins ne comprennent). Rapidement, il nous dit qu’il attend le téléphone de sa fille de 21 ans qui a quitté Cuba depuis deux semaines ; après s’être mariée avec un américain à Cuba, les deux jeunes mariés sont partis en lune de miel en Italie. Le voyage de retour de sa fille comportait une escale au Mexique, et elle a décidé de ne pas embarquer dans le dernier avion pour la Havane. Elle se trouve actuellement à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et tente d’entrer dans ce dernier pays. Cela fait plusieurs jours qu’elle attend la décision des autorités. Elle a droit à un appel par jour, un appel attendu impatiemment par ses parents. Enrique, les larmes aux yeux, nous confie que sa fille ne leur avait jamais parlé de son intention de ne pas rentrer à Cuba. En lui souhaitant une heureuse lune de miel, il pensait la revoir quelques jours plus tard. Il ne lui en veut pas ; selon lui, c’était la seule solution pour que sa fille ait un avenir et soit libre de faire ce qu’elle désire. Si elle parvient à entrer aux États-Unis, son papa ne pourra jamais aller la voir ; son passé de militaire ne lui permet pas de sortir du pays. Sa fille pourra quant à elle revenir à Cuba pour voir sa famille puis retourner aux États-Unis. Cette histoire qu’Enrique nous a confiée nous a fait prendre conscience de cette triste réalité. Certes, le pays semble moins pauvre que la Bolivie ou le Pérou par exemple, mais les gens en sont prisonniers. Leur liberté est entre les mains de l’État. Et même si plusieurs cubains peuvent maintenant sortir du pays pour des vacances, ce privilège demeure réservé à une minorité, tant les visas sont difficiles à obtenir.


Le tableau que nous dresse Enrique est pessimiste. Nous tentons alors de faire tourner la discussion en abordant les sujets de la santé et de l’éducation, deux piliers de la révolution. Mal nous en prend, son défaitisme demeure. Même s’il admet que pendant les années qui ont suivi la révolution, ces domaines ont été largement développés, ce succès semble avoir pris un autre tournant. Concernant la santé, il nous raconte qu’il a dû payer plus de 100 dollars pour sa belle-fille qui était enceinte de jumeaux et qui a dû accouché par césarienne. Sans cet argent, le médecin n’était pas d’accord de lui faire cette intervention. On découvre alors une sorte de marché noir de la médecine, avec certains soins payants alors que « la santé est gratuite et accessible à tous ». Des dérives probablement engendrées par le médiocre salaire d’un médecin de 40 dollars par mois. On s’est aussi rendu compte d’une particularité du système de santé cubain en faisant la rencontre d’une cubaine enceinte de 7 mois. Elle vit dans la campagne, à environ 45 minutes de la ville la plus proche et donc d’un hôpital. Elle nous a livré qu’elle avait sa date d’entrée à l’hôpital déjà agendée, et que celle-ci était prévue à un mois avant son terme. Comme elle n’aura pas la possibilité de se rendre à l’hôpital (son mari a un cheval) au moment d’accoucher, la solution est de l’hospitaliser suffisamment en avance pour être sûr que le bébé sortira à l’hôpital. En fait en écrivant ça, on se demande si ce ne serait pas aussi le cas pour une future maman suissesse habitant au fin fond des Grisons ?!

 


Une autre problématique nous semble être la démesure que pratique le gouvernement dans la volonté de tout maitriser et posséder. Le récent changement de lois concernant les maisons d’hôtes (obligation d’avoir des téléviseurs, frigos et climatisations d’une certaine gamme dans chaque chambre) engendre une fermeture de certaines d’entre elles. Cela permet à l’Etat de garder la main sur l’hébergement des touristes en les dirigeant dans les hôtels d’Etat bien souvent de luxe. Cette complication se répercute aussi directement sur le système de santé. Ainsi, tous les jours, à l’hôpital, un inventaire de chaque objet de toutes les chambres est fait par deux personnes du personnel soignant (draps, linges, chaises, etc)! Une énergie et un temps passés à cette tâche en dépit de soins et d’attention apportés aux malades qui nous semblent plus essentiels. Un service qu’on retrouve aussi négligé dans les restaurants d’État, certainement dû au manque de motivation du personnel.

 

Tano nous avait donné le contact de son cousin qui habite dans la campagne avec sa famille pour qu’on passe lui dire bonjour. Ils habitent dans les « montagnes » au centre du pays et ont une finca de café et autres fruits. Nous avons eu la chance de pouvoir camper deux nuits chez eux, et alors que nous pensions leur apporter notre aide un dimanche pour la récolte du café, on s’est retrouvé embarqué à jouer au domino toute la journée ! Ce sport national se joue à 4, deux contre deux, et les cubains y jouent avec une ferveur impressionnante ! Ils n’hésitent pas à claquer les pièces de domino sur la table lors d’actions importantes. On a pu assister au chambrage amical incessant du grand-père et son beau-fils, entre qui il régnait une sacrée rivalité ! Une nouvelle fois, cette famille pour qui c’est la « lucha para sobrevivir » (slogan révolutionnaire ancré chez les cubains) tous les jours, nous a offert le peu qu’elle avait et nous a fait vivre un dimanche en famille en toute simplicité. 


 

On va continuer et terminer par un paragraphe positif, comme on nous a appris lors de nos dissertations gymnasiennes…

La rencontre avec Luis, habitant dans un village paisible en bord de mer, nous a démontré une satisfaction de la situation dans son pays. Les soins et l’éducation étaient selon lui bons et la nourriture en suffisance. Une vie paisible, élémentaire et simple qui nous montrait une nouvelle fois que la sobriété heureuse est peut-être la solution à beaucoup de problèmes. Durant ces trois semaines, on a d’ailleurs apprécié de ne pas être systématiquement attirés par de la publicité, de ne pas voir de centres commerciaux, de voir la nourriture servie dans des assiettes sans plastique ou alors sur des bouts de pains dans les tous petits bouibouis du coin, d’avoir un accès limité à une connexion internet ou encore de voir de très belles initiatives concernant la réparation de tous les objets présents sur l’île plutôt que leur remplacement par du neuf… Certes ce n’est pas un choix pour les cubains, mais nous devrions nous inspirer de leur savoir-faire et de leur mode de vie pour tenter de sortir de notre ferveur consumériste et du culte voué à la croissance économique infinie qui n’est pas pérenne dans un monde fini… (Jonas est en plein podcast décroissant…) Eux ont l’obligation de le faire pour se soustraire aux lois imposées par le gouvernement, nous, le choix pour espérer un futur meilleur pour les prochaines générations. Voilà pour ce qui est de la transmission de quelques idées idéologiques, qui méritent, selon nous, approfondissement :)

 


On espère ne pas vous avoir perdu sur ce dernier paragraphe ou même avant car cet article est effectivement un peu long… Mais Cuba est un pays passionnant qui méritait une description de nos observations et ressentis plus détaillés. Nous n’avons malheureusement eu peu de temps pour s’imprégner de cette culture et de cette vie complexe dans un socialisme endurci qui reste encore bien mystérieux à nos yeux.

 


Pour quelques compléments ou répétitions d’impressions oralement, nous passerons normalement de vive-voix le vendredi 21 décembre sur les ondes de la RTS dans l’émission A l’abordage – Paroles de globe-trotteur.

 

Cette fois-ci on peut le dire : à bientôt !

 

Bien à vous,

 

A + J ou J + A.